jeudi 13 décembre 2012

Géo héraldique #08 : la désindustrialisation en Lorraine illustrée par les blasons

Longlaville (Meurthe-et-Moselle) -  province de la Lorraine
bar et croisettes  (Duché de Bar) -  haut-fourneau
 Pour comprendre mon concept de "Géo héraldique" , voir → ICI
La bataille est rude, celle que mènent en ce moment à Florange pour maintenir ce qui reste de l'industrie sidérurgique française : syndicalistes, dirigeants de la finance internationale,  empires de la mondialisation et gouvernements (de Droite puis de Gauche) empêtrés dans leurs promesses électorales irréalistes faites aux uns et autres autres. Cela tourne au tragicomique. Depuis trente ans maintenant le (ancien) fleuron de l'industrie sidérurgique et houillère de la France en Lorraine, bénéficiant d'installations ultra-perfectionnées et produisant des produits de grande qualité reconnus mondialement, est accusé paradoxalement d'être obsolète car non concurrentiel, les causes en sont bien connues.

 Les ouvriers métallos pourtant très qualifiés,  si fiers de leur métier, dignes ou charismatiques comme Édouard Martin, leur leader de Florange, ne peuvent pas s'adapter aux exigences de la mondialisation : ne rien coûter à leur employeurs, mis à part un bol de riz par jour, comme le font leurs collègues de l'Inde ou de Chine ! C'est la loi du Marché et le Dieu "Marché", comme ceux de l'Olympe,  ne fait pas de sentiment !
Pourtant cette région industrielle a été celle qui, en France, a su attirer la part la plus importante des investissements internationaux ...  Lesquels ont fructifié à la faveur des subventions qui leur ont été généreusement servies, sans engagements concrets sur les moyens et résultats à longs termes en raison même de leur caractère changeant ! Pour les politiques : penser à très long terme alors que leur mandat est assis sur siège éjectable, est parfois au-dessus de leurs forces.  Ainsi des flots d'argent public ont servi à investir finalement dans le démantèlement de notre industrie et favoriser les choix stratégiques de Monsieur Mittal et d'autres, au bénéfice de leurs actionnaires.
Charency-Vezin (M.-et-Moselle)
en 1 et en 4 : crosses et poche
de fondeurs comme ceux 
des Indiens à droite
fonderie à Calcutta (Inde)  : ouvriers coulant des plaques
 d'égouts pour la ville de New-York













famille Wendel de Hayange,
maîtres de forges depuis 1704.
Depuis l'âge du fer, justement, le minerai de fer est extrait du sous-sol de la Lorraine. De nombreuses traces archéologiques l'attestent. L'essentiel du bassin ferreux Lorrain ( voir carte plus bas) est très lié à la famille de Wendel qui exploitait la plupart des mines du Nord de la région (mines de Neufchef , d'Aumetz et d'Auboué...) qu'elle utilisait pour ses aciéries. D'ailleurs, la présence de fer dans les roches locales (pierre de Jaumont) lui donne une teinte ocre. De nombreux bâtiments de la région dont la cathédrale de Metz ont cette belle couleur chaude.
La Lorraine possède deux écomusées consacrés aux mines (Musées des mines de fer d'Aumetz et de Neufchef , entre Longwy et Thionville), qui présentent de façon complémentaire l’histoire de l’extraction du fer en Lorraine. Ils proposent par le biais de visites guidées de découvrir l’aventure humaine des "gueules jaunes" et de l’extraction de la minette de  Lorraine, nom local donné au minerai.

Les outils de mineur dans les mines de fer de Lorraine ( communes du département de la Meurthe-et-Moselle) :
1 - Mancieulles   /    2 - Batilly    /   3  - Laxou   /    4 -  Saint-Pancre  /   5 - Maron   /  6 - Boismont  /   7 - Crusnes

La mine au XVIe siècle - extraits de l'ouvrage d’ingénierie " De re metallica" de Georgius Agricola ( 1494-1555)
à gauche : puits et galeries de mine -  à droite : machines de pompage de l'eau pour dénoyer les galeries.




Les puits de mine, plus exactement les chevalements, tours métalliques qui permettent la descente des mineurs au fond des galeries (communes du département de la Meurthe-et-Moselle) :
1 - Haucourt-Moulaine   /    2 - Moineville   /   3  - Piennes  /    4 -  Giraumont

                                     écomusées de Neufchef   
                           et Aumetz




Moutiers(Meurthe- et-Moselle)


Cosnes et Romain (M.-et-M.)
wagonnet de mine en 4

 Longtemps dispersée à travers la région, l'activité sidérurgique se concentre à partir de 1860, quand il devient possible d'utiliser rationnellement les gisements souterrains de minette, le minerai local. L'industrie lourde du fer se développe dès lors, pour l'essentiel, dans le bassin de Nancy, dans le Pays-Haut et à l'ouest de la Moselle. Un siècle d'activité intensive imposera l'image d'un "Texas lorrain".
mineurs d' Algrange - avant fermeture des mines en 1979








Ludres (M.-et-M.)
lampe, outils de mineurs
et de forge. Le casque est
Romain pas celui d'un mineur !








Cependant, dans les années '70 et '80, les mines et la sidérurgie connaissent de profonds bouleversements qui transforment l'économie, les mentalités et le paysage. Aujourd'hui, les mines de fer sont fermées; beaucoup d'usines ont disparu ; ce qui restait de la sidérurgie était tourné vers l'international, la recherche, la valorisation des savoir faire et les produits à forte valeur ajoutée et prend la même voie de l'abandon total.

Les forges sont symbolisées par les marteaux et quelquefois des enclumes -
 communes de Moselle (57) et de Meurthe-et-Moselle (54) :
1 - Seremange-Erzange (57)   /    2 - Neuves-Maisons (54)   /   3  - Uckange (57)   /    4 -  Saulnes (54)
représentation de forges (ultra-modernes) au XVIIIe siècle
suite de la symbolique des forges et de la métallurgie - communes de Moselle (57) et de Meurthe-et-Moselle (54) :
1 - Sexey-aux- Forges (54)   /    2 -  Hayange (57)   /   3  - Ottange (57)   /    4 - Algrange (57)     / 
5 - Stiring-Wendel  (57) /  6 - Saint-Maurice-aux-Forges (54)    /   7 - Nilvange (57)   /   8 - Audun-le-Tiche (57)


Moyeuvre-Grande (Moselle)
en pointe, le mont enflammé
symbolise la sidérurgie
Réhon (M.-et-Moselle)
à senestre les flammes
symbolisent la sidérurgie
 Pour faire fonctionner les hauts-fourneaux qui produisent la fonte, le fer et l'acier, il faut du charbon. Pour fabriquer l'acier qui est un alliage de carbone, il faut encore du charbon.  Il faut aussi de l'énergie : ce fut d'abord la vapeur puis l’électricité avec des centrales thermiques,  toujours alimentées avec du charbon,  avant que plus tard on mette en route des stations hydroélectriques et des centrales nucléaires. Beaucoup de charbon donc et c'est un miracle, il y en a tout près, dans le bassin de Forbach et en Sarre côté allemand ! Cette coïncidence fantastique de la proximité géologique des mines de fer et des mines de charbon, ainsi également que des mines de sel de Château-Salins pour la chimie a été un don du ciel et de la nature pour la prospérité de la Lorraine et des industriels. Des dynasties aristocratiques de l'acier comme le Groupe Wendel, sont ainsi nées de ce miracle économique.

Petite-Rosselle (Moselle)
lampes de mineurs






















Freyming , devenue Freyming-Merlebach (Moselle)

Carling (Moselle) - en 2  : chevalement de puits de mine, en 3: tour de réfrigération de la centrale thermique.
à droite : le  puits Saint-Max à Carling (1867) qui a servi de modèle pour la figure du blason

Creutzwald (Moselle)
en écusson : lampe de mineur de charbon
l'Hôpital (Moselle)
en 3 : chevalement de puits de mine (charbon)





















Schœneck (Moselle)
La position frontalière du bassin houiller lorrain a beaucoup pesé sur son histoire, notamment parce que les guerres des XIXè et XXè siècles ont vu la Moselle annexée à l'Allemagne (voir carte ci-dessus). Le charbon lorrain n'est sérieusement recherché qu'après 1815 quand le traité de Paris prive la France des mines qu'elle exploitait en Sarre depuis 1798. Le tout premier charbon lorrain est extrait en 1829 à Schœneck, mais il faut attendre la seconde moitié du XIXè siècle pour voir les mines prendre leur véritable essor. Nationalisées en 1946, les houillères connaissent leur apogée en 1964, avec 34 000 mineurs ; puis c'est la crise. Le dernier puits sera fermé en 2005.



hauts-fourneaux à Thionville - en Moselle allemande  à l'époque de cette carte postale, vers 1900-1910


Abainville (Meuse)
Villerupt (M.-et-Moselle)
A la base du haut-fourneau, se trouve des brûleurs appelés des tuyères, qui oxydent le combustible avec de l’air chaud. On introduit alternativement le minerai de fer et le coke par le haut. Selon le résultat désiré, on peut rajouter du gaz, du charbon pulvérisé ou des additifs. Le résultat de la fusion (1500 degrés) produit deux liquides : la fonte et le laitier. Ce dernier a de multiples utilisations, comme substituant au ciment, engrais ou dans la production de verre.  Ces deux produits s’accumulent dans un bassin de rétention (le creuset) où ils sont séparés. Le laitier flottant sur la fonte, celle-ci est évacuée en premier. Quand son niveau est assez bas, le laitier s’écoule à son tour. Les hauts-fourneaux lorrains produisaient 3500 tonnes de fonte par jour.
hauts-fourneaux de Gorcy , près de Longwy - même époque que ci-dessus


Les hauts-fourneaux héraldiques sont évidement très simplifiés - communes de Meurthe-et-Moselle (54) et de la Meuse (55) :
1 - Herserange (54)   /    2 - Jœuf (54)   /   3  - Menaucourt (55)   /    4 - Mont-Saint-Martin (54)
http://www.flickr.com/photos/bracdan/6703991711/
Quelques-uns des magnifiques vitraux Art Déco des ateliers Majorelle (1928) pour les anciens  bureaux des Acièries de Longwy , maintenant la Maison de la  Formation - Centre Jean Monnet à Longlaville ( cliquer pour agrandir)

La fonte produite est alors acheminée jusqu’à l’aciérie afin d’en éliminer le carbone. L’acier ainsi obtenu est ensuite solidifié par un procédé de refroidissement par eau appelé la coulée continue. Les barres d'acier sont conduites au laminoir pour être transformés en plaque de tôles. Tout ce processus depuis la cokerie jusqu’à l’aciérie est appelé la filière chaude.
Convertisseur Bessemer et creusets, éléments des acièries - communes de Meurthe-et-Moselle (54) et de la Meuse (55) :
1 - Homécourt (54)   /    2 - Tréveray (55)   /   3  - Saint - Joire (55)   /    4 - Vadonville (55)

Convertisseur Bessemer - gravure XIXe siècle
creuset de fonderie

timbre 1995 - hommage à la (fin de la)
sidérurgie en Lorraine 
Aujourd’hui, il ne reste qu’une dizaine de hauts-fourneaux en France dont les deux de Florange actuellement arrêtés. Le redémarrage d'un haut-fourneau est une opération très incertaine et  peut prendre une à trois semaines, le temps de réchauffer la partie basse du haut-fourneau. Car c’est cette partie, le creuset, qui pose le plus de problème. Lors du rallumage, le creuset peut se bloquer s’il n’est pas assez chaud et si les liquides arrivent trop vite.  Le deuxième problème concerne l’étanchéité du creuset. Lors de l’arrêt, les briques du haut-fourneau se rétractent ce qui crée des fissures qui peuvent ne pas se refermer suffisamment vite. Il est par contre toujours possible de redémarrer un haut-fourneau même après une longue période, tout dépend des conditions d’arrêt.  Le principal problème, c’est la corrosion. Le temps fait son œuvre et les hauts-fourneaux sont faits pour fonctionner sans arrêt.. Même un arrêt d’un semaine peut être périlleux.   En revanche sur le temps long, un arrêt de six mois ou de deux ans ne change rien.
Convertisseur Bassemer




 Le redémarrage des hauts-fourneaux de Florange est donc surtout conditionné par le bon vouloir d’Arcelor-Mittal et accessoirement du gouvernement. La concurrence des pays émergents et le coût économique des approvisionnements ( le charbon vient désormais des ports ) et d'autres facteurs dont les salaires pourraient empêcher la reprise de l’activité. De plus la production actuelle est déjà suffisante pour subvenir aux besoins du marché local, pas de perspective de croissance dans un proche avenir.


Hauts-fourneaux U4 d' Uckange , arrêtés en 1991, classés monuments historiques en 2004 et mis en valeur en tant que tel

Blénod-lès-Pont-à-Mousson (M.-et-Moselle)
Fonderie Saint-Gobain (usine, 150 ans d''age) ,
centrale thermique (éclairs),
usine de tuyaux métalliques (annelets)
Sainte-Barbe (Moselle)
la tour est l'attribut de la sainte - les cailloux
sont eux dédiés à Saint Étienne, martyrisé
par lapidation
La sainte patronne des mineurs est Sainte Barbe (nommée Barbara ailleurs en Europe). Elle protège les hommes de la foudre et du feu par extension. Des fêtes et des processions étaient et sont encore souvent organisées par les familles catholiques des pays miniers, le 4 décembre est le jour de sa célébration (sous le nom de Barbara, sur notre calendrier. Elle est souvent représentée en héraldique par une tour, ou accompagnée d'une tour, précisément munie de trois fenêtres. Selon la légende, son existence est très douteuse, elle avait été enfermée dans une tour par son père Dioscure, sur ordre d'un satrape (un gouverneur en Perse) avec le prétexte de la soustraire au regard des hommes mais en fait pour l'empêcher de pratiquer la religion chrétienne à laquelle elle s'était convertie. Son père, après lui avoir infligé de nombreux supplices, excédé par sa persévérance a fini par la tuer lui-même en la décapitant; mais il mourra foudroyé juste après.
 Pour être complet c'est Saint Éloi qui est le saint patron des gens du métier des métaux dont les orfèvres, les chaudronniers, les forgerons, et par extension de tous les métiers de la métallurgie et de la mécanique.

église Sainte-Barbe à Crusnes (M.-et-Moselle)
avant restauration en 2008 , est l'unique église au monde
construite toute en fer (en 1939) de l'entreprise Wendel

carte postale collector en hommage aux mineurs et
à Sainte Barbe, leur sainte patronne.



Avec ce sujet , j'ai voulu donc apporter par ce témoignage particulier de notre histoire un éclairage sur l'actualité. Des siècles , non : des millénaires de travail très difficile , de souffrances, de luttes dans la dignité  pour conserver un savoir-faire, des ingénieurs exceptionnels et une technologie avancée qui aboutissent en fin de compte  à une mise en sommeil inéluctable d'un secteur économique. Tout n'est pas irréversible : le minerai est toujours là dans notre sous-sol , le charbon aussi , mais les hommes eux sont partis ailleurs : trop polluant , pas assez compétitif économiquement.  Mais il y a autre chose maintenant qui intéresse les industriels et la finance : le fameux gaz de schiste avec lequel la France a beaucoup de ressources potentielles. La nouvelle "ruée vers l'or" du XXIè siècle ! Tenez vous prêts...



crédits :
 blasons :
 http://www.genealogie-bisval.net
 http://www.genealogie-lorraine.fr/infos/
http://armorialdefrance.fr/
http://labanquedublason2.com/ (dessins : Jean-Paul Fernon)
l'Armorial des communes de Lorraire de Michel Froger (2012)
Robert André Louis ( Tréveray ,blason  mis à jour en 2014 suite adoption par la commune ).
photos :
Wikipedia - ou Commons- wikimedia.org
http://www.flickr.com/photos/bracdan/6703991711/
http://www.delcampe.fr/

                  Herald Dick

5 commentaires:

  1. Merci pour ce site très intéressant. J'y puiserai des idées pour faire découvrir à mes élèves le passé sidérurgique de notre région.

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    1. Merci à vous, je suis très heureux que mes pages inspirent des actions éducatives. Vous pouvez utiliser les images si besoin, avec grand plaisir...

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  2. Bonjour,

    Cet article est en effet très intéressant! Si vous le permettez, j'aimerais m'en inspirer et réutiliser quelques images dans le cadre de la thèse que je rédige actuellement sur les cancers professionnels en Lorraine et pour laquelle j'aimerais proposer une petite cartographie industrielle de notre territoire.

    Bonne continuation!

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    1. Bonjour,
      je vous remercie pour l'intérêt que vous portez à cet article. Je vous autorise volontiers à utiliser les images pour votre travail, du moment que vous citez leur provenance.
      bien à vous
      HD

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    2. C'est naturel! Je vous remercie!

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